Le Maître intérieur

Revue de pédagogie

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La Personne à l'école , Baptiste JACOMINO

Édito « La Personne à l’école »

NUMÉRO


2025

Quand je me rends en visite de tutelle dans des écoles catholiques, j’écoute les élèves et les adultes qui y travaillent. Ce que j’entends diffère beaucoup d’un lieu à l’autre. Mais presque toujours on me dit que je me trouve dans un établissement plus humain, plus familial, plus soucieux des personnes que les autres. Si tant de communautés éducatives croient que leur singularité tient à leur attention aux personnes, ne sont-elles pas moins singulières qu’elles ne le croient ? La contradiction n’est qu’apparente. La forme scolaire est depuis ses origines un espace largement voué au contrôle et à la normalisation, et la massification de l’instruction s’est souvent opérée comme une industrialisation qui masque et étouffe la singularité des personnes, leur créativité, leur part d’inattendu. Nous y sommes à ce point habitués que tout écart à cette logique de la norme nous paraît exceptionnel. C’est dire combien il reste de chemin à parcourir pour que le souci de faire advenir des personnes l’emporte sur celui de les faire entrer dans des moules. Il n’est pas question de refuser les règles et les lois. Au contraire, nul ne saurait développer sa propre poésie sans maîtriser la langue commune et les normes qui la structurent, nul ne saurait affirmer sa personnalité sans se nourrir d’une culture qui le précède, nul ne saurait trouver sa voie sans les cartes et les boussoles qu’il nous revient de transmettre. Le danger, comme souvent, réside dans une sacralisation des moyens aux dépends des fins. Les cadres n’ont pas de valeur en eux-mêmes. Ils n’ont d’intérêt que dans la mesure où ils offrent à chacun des instruments pour dire « je » à son tour de manière tout à la fois digne, critique, inventive et responsable.


« Il nous revient, dès les petites classes, d’imaginer ce qui peut permettre à chacun d’affirmer un style, un talent, un discernement, une responsabilité, une parole personnelle. »


Si une telle advenue de la personne par l’école est notre visée, on ne peut la remettre sans cesse à plus tard. Il nous revient, dès les petites classes, d’imaginer ce qui peut permettre à chacun d’affirmer un style, un talent, un discernement, une responsabilité, une parole personnelle.

Voilà qui se heurte à une objection bien connue : comment personnaliser son enseignement sans se noyer dans une production infinie de supports individualisés et sans perdre toute maîtrise globale de sa classe ? Cette question est bien légitime. Il serait incohérent de prôner l’attention à la personne de l’élève et d’écraser la personne du professeur sous un fardeau illimité. L’une des pistes à creuser consiste à autoriser les pédagogues à bricoler en situation des pratiques qui répondent à leur propre désir tout en favorisant l’avènement de personnes dans leur classe. Cela ne se fera pas à coups d’injonctions descendantes, mais en autorisant le pluralisme pédagogique, en favorisant les initiatives et en nous mettant à l’écoute de la parole des personnes, sans chercher à nous demander si elle correspond parfaitement à un discours préétabli. Telle est du moins l’intuition qui, depuis sa création, oriente cette revue et qui donne lieu une fois encore, dans ce numéro, à la rencontre de recherches théoriques et pratiques très diverses.