Jim Howden, vous êtes une figure de premier plan en matière de pédagogie coopérative. Vous avez formé de très nombreux éducateurs à ces pratiques, au Québec et en France. Qu’est-ce que vous aimez dans ce travail ?
Comme formateur, j’ai la chance de travailler avec les enseignants, de voir les enseignants changer leur façon de faire en relation avec les élèves. Mais aussi, comme formateur, je vais dans les classes, animer des activités coopératives avec les élèves, en moyenne section, en grande section, jusqu’au lycée général et au lycée pro. Quand je sors d’une classe après 55 minutes, je peux dire : oui, c’est là qu’est mon plaisir dans mon travail. Je vois que les élèves vont bien, qu’ils sont contents. Les enseignants qui assistent à la séance depuis le fond de la salle sont souvent un peu bouleversés. Et tout de suite, le premier commentaire qui leur vient porte sur ma bienveillance. Je réponds « non, c’est mon style d’enseignement ». Je remercie les élèves quand ils travaillent bien, et les enseignants souvent me font remarquer qu’ils n’ont pas l’habitude de faire ça.
On se dit souvent que, dans un groupe, ou dans une foule, on tend à se fondre, à oublier qui on est, à suivre le mouvement général. Comment faire pour que, dans le travail de groupe que vous organisez, les personnes n’oublient pas qui elles sont, leur esprit critique, leur désir ?
Je crois que le principe organisateur le plus important de cette pédagogie, c’est l’interdépendance. Je ne souhaite pas que les étudiants, les élèves, les enseignants en formation deviennent dépendants ou indépendants. Je veux qu’ils soient interdépendants, que chacun se dise : j’ai besoin de l’autre, je suis important, j’ai quelque chose à apporter à l’équipe, ils m’écoutent parce que j’ai une partie du tout. C’est ce qui est très valorisant pour tous les élèves.
Lors de mon dernier séjour ici, un stagiaire m’a demandé : mais c’est quoi la différence entre un groupe et une équipe ? J’y ai réfléchi et ça m’a amené à revoir le contenu de ma formation. La grande différence, c’est l’interdépendance. Si on peut mettre les élèves dans une vraie situation où ils ont besoin les uns des autres, on ne peut pas se perdre : ça devient une équipe, pas un groupe.
« Je veux qu’ils soient interdépendants, que chacun se dise : j’ai besoin de l’autre, je suis important, j’ai quelque chose à apporter à l’équipe, ils m’écoutent parce que j’ai une partie du tout. »
A ce sujet, lors d’une formation, une enseignante du premier degré m’a dit : regarde dans le domaine du sport, on ne parle pas d’un « groupe de rugby » mais d’une « équipe de rugby », parce que chacun est important, chacun joue son rôle et il y a un but commun. Maintenant, j’ai toujours ça à l’esprit quand je commence une formation et je dis : on va travailler en équipe et ça va être comme une équipe de rugby. C’est dans ma tête et dans mon cœur.
Est-ce que vous vous souvenez d’un élève qui aurait affirmé sa personnalité singulière grâce au travail d’équipe ?
J’étais récemment à Montauban, dans un grand lycée, pour une séance en anglais. J’ai parlé en anglais tout le long. La séance avait été montée par le professeur. Moi, j’ai juste animé la séance. En créant des situations d’interdépendance, j’ai poussé chaque élève à l’utilisation de l’anglais dans la classe. C’était dur, mais je n’ai pas lâché. A la fin du cours, un jeune homme est venu me voir parce qu’il voulait juste me donner un peu de feedback. Il m’a dit : « je ne savais pas que j’étais si bilingue que ça ». Il avait dit quatre, peut-être cinq mots en anglais, mais ça avait été très important pour lui. Je crois qu’il avait gagné en estime de lui-même.
En ce moment, en France, on a un gouvernement qui veut pousser à organiser des groupes de niveau ou des groupes de besoin dans les classes, au collège. Est-ce que vous auriez un conseil à donner aux responsables, aux professeurs qui vont se lancer dans cette expérience pour que ça ne se passe pas trop mal ?
Comme toutes les réformes, malheureusement, c’est trop rapide. On lance le défi sans fournir le soutien nécessaire à la mise en œuvre. L’essentiel est de soutenir les enseignants et les établissements qui vont mettre en œuvre. J’ai une philosophie, c’est les petits pas. Si on peut faire des petits pas, on peut faire des grands pas, mais si on commence avec des grands pas, ça va être un échec.